Texte perso : Comme un destin scellé à la cire
Il y a quelque temps, je vous avais parlé d'un petit concours de nouvelles auquel je participais. Eh bien voila, le concours est terminé et les résultat sont parus. Je ne suis malheureusement pas sélectionnée cette année mais j'ai tout de même eu de bons retour de la part des jurés, donc la déception n'est pas trop grande.
Je vous partage mon petit texte comme promis. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !
Comme un destin scellé à la cire
Sous le soleil à son zénith, Aymeric se sentait cuire dans son armure d’acier. La sueur dégoulinait dans son cou, depuis ses mèches auburn alourdies de transpiration. Après plusieurs heures à manier l’épée, la fatigue commençait à réclamer son dû. Les paumes meurtries par la garde de sa lame, les bras endoloris par le poids de son arme et les chocs répétés, il s’éloigna du centre de l’arène pour reprendre son souffle et trouver un coin d’ombre salvateur. Une barrique d’eau claire l’attendait près d’un arbre à la large ramure. Le jeune guerrier avala goulûment plusieurs lampées qui apaisèrent sa gorge râpée par le sable et la poussière.
Voilà des jours qu’il s’entraînait sans relâche. Chaque soir, il se couchait
le corps marbré de bleus, les mains en sang, la voix rauque, mais le sourire
aux lèvres. Une fois par année, le roi conviait à la cour vingt cadets de
bonne famille. Au terme d’un tournoi, le meilleur d’entre eux se voyait
accorder un titre assorti d’un lopin de terre. Une chance unique pour les
puînés, d’obtenir ce que leur naissance ne pouvait leur offrir. Ainsi avait-il
reçu un parchemin scellé à la cire, le priant de rejoindre les appelés de cette
loterie royale. Les heureux élus étaient tous là, réunis sous la houlette d’un
vieux maître d’armes blasé, dont la fonction consistait à inculquer quelques
rudiments de combat à de jeunes têtes brûlées qui rêvaient déjà de gloire.
Des gloussements à peine contenus détournèrent l’attention d’Aymeric
vers la route de terre battue qui serpentait tout près. Trois suivantes de la reine, joliment apprêtées, riaient sous cape en détaillant les hommes qui
ferraillaient hardiment. L’une d’elles leva les yeux vers lui. Elle s’appelait
Yselda. Ses cheveux couleur des blés étaient réunis en une large tresse. Son
corps aux formes voluptueuses épousait sa robe de velours. La veille, sous
le couvert de la nuit, il avait glissé ses doigts dans les mèches soyeuses et
défait sa natte, faisant couler une rivière d’or sur sa peau laiteuse. D’une
main habile, il avait délacé l’avant de sa cotte pour pouvoir mieux profiter
de la courbe avantageuse de ses seins. Malheureusement, elle l’avait arrêté
lorsque ses doigts s’étaient aventurés sous ses jupes, riant qu’il était bien
prétentieux pour un homme sans terres ni titre. Elle s’était faufilée hors de
sa portée et avait rajusté sa tenue, avant de s’enfuir joyeusement. Il
entendait encore son rire cristallin résonner sous le ciel étoilé.
Sur la route, Yselda l’observait à la dérobée. Un sourire espiègle flottait
sur ses lèvres et ses yeux pétillaient de malice. Oh oui, pas de doute, il
finirait par la faire céder.
Les journées s’enchaînèrent. Elles sentaient la sueur et le cuir tanné,
carillonnaient au rythme du fer qui se croise, se modelaient au fil des cals
qui se dessinaient dans ses mains. Elles avaient le goût du bonheur. À la
tombée du jour, Aymeric retrouvait sa belle. Il lui murmurait des mots
tendres, respirait sa peau douce et parfumée. Pourtant, jamais elle ne le
laissait aller plus loin que quelques caresses. Elle l’abandonnait le corps
fiévreux et le souffle court. Comment faisait-elle pour lui résister à ce
point ? Il en avait troussé des demoiselles de toutes les castes, et même
quelques femmes mariées. Aucune ne s’était refusée à lui. Yselda était une
énigme, un défi, et ô combien il aimait cela !
Il apprit à la connaître, forcé de la courtiser à défaut de mieux. Il
découvrit un cœur généreux et un esprit libre. Un soir qu’il faisait
particulièrement chaud, il l’emmena près d’un lac et l’invita à le suivre dans
l’onde fraîche. Elle déclina et s’assit dans l’herbe tandis qu’il se déshabillait
devant ses yeux ébahis.
— Toujours pas envie de me rejoindre ?
La jeune femme secoua la tête tout en le détaillant effrontément. Il se
glissa dans l’eau et affronta avec délice la température revigorante du
ruisseau. Son bain terminé, il revint vers elle et s’allongea à ses côtés,
totalement à l’aise dans sa glorieuse nudité. La belle l’observait,
rougissante. Lorsqu’il l’attira à lui, elle ne se rebella pas et fit courir ses
doigts sur sa peau encore luisante et humide. Elle sentait la rose et le
romarin. Elle était si magnifique qu’il tremblait au moment de promener ses
mains sous les jupons de taffetas.
— Si je croyais en la magie, je penserais que tu m’as ensorcelé,
murmura-t-il d’une voix hachée, avant de l’embrasser avec passion.
Il la sentit se détendre dans ses bras, se laisser aller enfin à la volupté.
Soudain, une branche craqua dans les buissons. Elle sursauta et se redressa
promptement, toute frivolité envolée.
— Je dois partir.
Elle le fixa encore un moment, se mordit la lèvre et le salua avant de le
quitter en courant. Il jura pour finalement s’esclaffer sous la lune presque
ronde. Pas de doute, il était amoureux.
Le tournoi s’annonça, au cours duquel les jeunes recrues devaient
s’affronter afin de se distinguer. C’était l’occasion unique d’acquérir un
titre, de fonder une lignée. Aymeric s’était avéré un remarquable combattant.
Durant les dernières semaines, ses prouesses lui avaient valu plusieurs
inimitiés et beaucoup de jalousie. Il n’en avait cure. Favori du tournoi, il
s’imaginait déjà adoubé par le roi en personne.
Les épreuves commencèrent. Dans son gantelet, il avait caché un ruban
de soie dérobé à sa belle pour lui porter chance. Elle l’observait des gradins,
applaudissait ses exploits. De toutes les rencontres, il sortait vainqueur. Le
3e
jour pourtant, elle ne parut pas. Ni le 4e
. Aymeric interrogea ses amis,
mais personne ne l’avait aperçue. Au soir du 4e
jour, un message l’attendait,
caché sous ses habits. Sur le papier, une simple phrase, laconique :
Perds le tournoi ou jamais tu ne la reverras.
Une sueur glacée lui mouilla le dos. Qu’était-il arrivé à Yselda ? Qui le
menaçait ? Le temps manquait. Un choix s’imposait : retourner à
l’anonymat d’un avenir incertain ou risquer de perdre celle qui hantait ses
nuits. Il y a peu, la réponse aurait été toute autre, mais aujourd’hui, que lui
importait de devenir noble si elle n’était pas à ses côtés ?
Le lendemain, Aymeric se présenta dans l’arène. Avant d’émerger dans
l’ère de combat, il respira le parfum qui imprégnait l’étoffe de soie
dissimulée dans sa manche et marmonna une prière fervente. Enfin, il
s’avança sous le soleil aveuglant et les acclamations de la foule en liesse.
Face à lui, son adversaire attendait. Était-ce lui, le fourbe ? Il frémit, chargé
d’une haine brûlante.
L’échange débuta. De coups d’épée violents en vicieuses escarmouches,
le combat se prolongeait. Malgré ses résolutions, Aymeric peinait à se laisser
dominer. C’était peut-être cet homme qui menaçait son bonheur tout neuf.
Un regard vers la place vide sur les gradins lui fit serrer les dents. Se
soumettre pour elle… Finalement, il inspira profondément et ferma les
yeux, l’image de sa bien-aimée imprimée derrière ses paupières closes. Son
opposant profita de cette ouverture inespérée pour lui asséner un violent
coup d’estoc. La douleur fit ployer Aymeric, qui mit genou à terre. Il n’eut
pas le temps de récupérer que d’autres coups suivirent, entaillant sa chair. Il
ne se défendit pas, il en allait de la vie d’Yselda. Un ultime choc à l’arrière
du crâne, et il sombra dans une bienheureuse inconscience.
Il se réveilla la tête lourde, la langue pâteuse, le corps endolori. Lorsqu’il
tenta de se relever, une douleur aiguë lui transperça les côtes et lui arracha
un cri. La vue encore floue, il découvrit une pièce dépouillée de toute
décoration, qui sentait les herbes et le sang.
— Aymeric ?
Cette voix… Yselda ! Elle se tenait non loin, assise sur une petite chaise
en bois.
Il voulut la prendre dans ses bras, mais une nouvelle fois, la souffrance
l’obligea à retomber contre ses oreillers. Peu importe. Elle était là, près de
lui.
— Je suis si heureux ! J’ai cru te perdre, souffla-t-il d’une voix éraillée.
— Je sais, répondit-elle doucement.
— Tu vas bien, n’est-ce pas ? Dis-moi tout ! On ne t’a fait aucun mal ?
— Non.
Quelque chose dans la retenue de ses mots le déstabilisa. La vue encore
un peu trouble, il s’aperçut malgré tout qu’elle pleurait. Que s’était-il
passé ? Une urgence, un sourd pressentiment le poussa à se redresser malgré
la douleur lancinante qui lui déchirait la poitrine. Son aimée se tenait bien
droite, les mains sagement croisées dans son giron.
— Yselda ? murmura-t-il, pétri d’angoisse.
— Te souviens-tu d’Odeline ? demanda-t-elle, lèvres serrées.
Devant son air ahuri, elle poursuivit :
— Elle était la fille du bourgmestre de ton village. Tu l’as charmée et
déshonorée.
De quoi parlait-elle ? Il se rappelait vaguement une jolie blonde au
visage poupin, encore naïve.
— Je l’ai peut-être attirée dans mon lit, et alors ? C’était il y a
longtemps, bien avant de te rencontrer.
— C’est ma sœur et tu l’as mise enceinte, souffla-t-elle, amère. Nous
avons déménagé en hâte et mon père a été forcé de la marier pour lui éviter
la disgrâce. Aujourd’hui, elle se morfond auprès d’un homme qui la
dégoûte. Son seul bonheur, c’est sa fille. Votre fille.
Il en resta bouche bée, le cœur affolé. Tout se mélangeait dans son esprit.
Une sœur ? Une fille ? Il était père ? Quel âge avait l’enfant ? 1 an ? 2 ? Il
n’eut pas le temps d’y réfléchir que déjà, elle reprenait :
— Jamais tu n’aurais dû venir ici. Lorsque nous t’avons reconnu sur le
terrain d’entraînement, nous n’avions qu’une idée en tête : la venger. Je devais te séduire comme tu l’as séduite, te briser le cœur comme tu as brisé
le sien.
— Je ne comprends rien à ce que tu me dis ! Je t’ai vue frissonner dans
mes bras, j’ai senti ton pouls battre la chamade sous mes baisers ! Tout cela
n’était donc que mensonges ?
— Ça ne l’était plus, à la fin…
— Alors que signifie tout cela ? Le message, ta disparition ?
Aymeric sentit sa gorge se serrer. Colère, tristesse, déception, il
bouillonnait, envahi de sentiments contradictoires. Sa confusion s’amplifia
encore lorsqu’Yselda éclata en sanglots.
— Odeline est la favorite de la reine. Quand elle a compris que je ne
voulais plus jouer la comédie, elle est devenue folle. C’est elle qui a arrangé
toute cette histoire. Elle m’a enfermée pour que je ne puisse pas te prévenir
du danger, et elle a payé des gens pour te priver ce que tu avais de plus
cher…
Sa voix entrecoupée de pleurs rendait difficile son discours. Lorsqu’elle
reprit, Aymeric dut tendre l’oreille pour la comprendre.
— Je suis venue te dire adieu. Je dois partir, quitter la ville dès ce soir.
Mon mariage est arrangé pour les jours qui viennent. Ne me suis pas, le
supplia-t-elle en prenant sa main entre les siennes. Si tu tentes quoi que ce
soit, elle te fera tuer.
— Qu’elle essaie ! jura-t-il en s’asseyant, mais la douleur se rappela à
son bon souvenir.
— Tu n’es pas en état.
— Pas aujourd’hui, mais dans quelques jours, je viendrais te retrouver.
— Dans quelques jours, il sera déjà trop tard pour nous deux. Oublie-moi.
C’est mieux ainsi.
Elle déposa un léger baiser sur ses lèvres avant de partir en courant, les
yeux rougis.
Aymeric passa une main sur son visage. Trop d’informations, trop de
folie.
Alors que ses doigts glissaient sur ses joues, il y rencontra une
irrégularité sensible au toucher. Étonné, il chercha de quoi se contempler et
attrapa près du nécessaire de toilette, un bout de miroir qui devait servir à se
raser. Son reflet le glaça d’horreur. Une large estafilade barrait son visage,
défigurait sa peau parfaite. Les berges boursouflées laisseraient sans aucun
doute une affreuse cicatrice. Qui voudrait de lui avec un physique si
repoussant ? Il comprenait mieux maintenant pourquoi Yselda lui demandait
de ne pas chercher à la revoir ! Sa beauté dont il était si
fier n’était plus qu’un souvenir.
Que lui restait-il ? Quel avenir pouvait-il espérer ? Son regard se brouilla
sous l’assaut de larmes qui ne voulaient pas tomber. D’un geste rageur, il
serra le morceau de verre dans sa main tremblante. Le sang coula sur les
draps blancs. Au moins lui avait-il été donné d’aimer, une fois. Jamais on ne
l’y reprendrait.
0 commentaires: